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Née en 1991, Caroline Reveillaud est diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2016.
Pour cette première exposition à la galerie Florence Loewy à Paris, l’artiste française présente un dispositif in situ, fruit d’une réflexion sur l’édition (livre, catalogue, compilation), la collecte d’images et leur matérialité potentielle.
Présences fantomatiques
Au mur, des bribes d’architectures, des séquences de surfaces photographiées.
Quelles sont ces images obsédantes ? Archives ou fictions futuristes ?
Elles appartiennent au langage même de la postmodernité, professant une déconstruction des formes et une manipulation des contenus par l’appropriation individuelle ou collective. Ces hétérotopies comme Michel Foucault les désigne possèdent ici la double épaisseur de l’ombre et de la trame. Caroline Reveillaud compose un musée de l’édition par soustraction des contextes. Ce qu’il reste, c’est la fine impression, l’incertitude même. Incapables d’identifier les écrans, les reflets et les surfaces photographiés, nous les acceptons comme présences fantomatiques et images persistantes. En photographiant une image, Caroline Reveillaud donne corps à l’ombre. Singulière, elle rappelle la fragilité et la contingence, deux conséquences de la prise de vue. Ces photographies possèdent plusieurs générations, intensifiant leur puissance architecturale. Elles évoquent aussi les potentialités fictionnelles et formelles de l’image : l’écran, la surface de projection, le reflet, le miroir. L’exposition TwoPartsWork I (platitude) induit un protocole apparent de translation de l’image vers sa reconfiguration dans l’espace, en sculpture.
Ainsi, par rebonds et références à un élément extérieur, Caroline Reveillaud photographie des espaces évoquant le substrat d’une architecture, l’essence d’un code générique (plan, pli, ligne, volume). L’ensemble devient collection, database personnelle, mobilisée par l’artiste comme matrice de la création de ses oeuvres. La platitude, dans la perspective des réflexions apportées par Tristan Garcia[1], est alors envisagée comme espace de l’entre-deux : de l’image à la projection sculpturale.
Elle se présente à la fois dans la collection des cent photographies disposées sur les murs de l’espace et dans la sculpture autour de laquelle gravite ces mêmes éléments.
De l’image à l’ombre
Au sol, l’image d’un bouillonnement à la surface de l’eau est présentée sur un volume rectangulaire avec sa face supérieure inclinée par l’effet de coupe transversale. L’effervescence fait écho au flux permanent des images produites et assimilées, à rebours de toute hiérarchie. Cette forme est deux fois sculpture. De facto par la matière et in extenso par l’ombre formée. Cette dernière apparaît sur le sol de la galerie en fonction de l’ensoleillement, répondant aux exigences d’une réflexion in situ sur la temporalité de l’image documentaire. La projection des ombres propose à la manière de Séance de Shadow II (bleu) de Dominique Gonzalez-Foerster, une réponse ‘pluri-temporelle’ à la question de l’interaction avec le public de l’exposition. L’artiste a également proposé pour Inhotim (Brésil), le projet Desert-Park (2010), un environnement de structures en béton, productrices de l’ombre dans le désert. Olafur Eliasson avec ses dispositifs de matérialisation de l’ombre (Your Light Shadow, 2005-2006) met en présence l’épaisseur de l’immatériel. Quant à William Kentridge avec Shadow Procession, il engage en 1990 une réflexion politique sur les conditions d’expression de la mémoire. Ces citations illustrent la tension temporelle de l’action et de la situation, du dispositif et du regard. Pour Caroline Reveillaud, l’ombre peut être envisagée comme un repère de l’image (qui la rattache au monde tridimensionnel) et une réponse à la théorie de Brian O’Doherty qui théorisait le white cube comme ‘espace sans ombre’.
Livre et espace
Le tirage noir et blanc sur la surface supérieure (extrait de la collection des cent photographies présentées au mur) de la sculpture est flou, pixélisé. Plus le regard est proche, plus la trame est présente. La surface de l’image devient en conséquence une matière en soi, au même titre que le marbre, la glaise ou le bois pour le sculpteur. L’inclinaison de la sculpture suggère un flottement. Un livre ouvert, dépossédé de ses contenus, est disposé dans une boîte initialement prévue à l’origine pour contenir la collection des photographies. Il suggère l’épaisseur potentielle des images tel un négatif de l’exposition.
La perte de repères chronologiques et de topos identifiables invite à reconsidérer l’édition comme un méta-lieu, prolongement de l’exposition et de son inhérente évanescence et extension du langage de l’image. In fine, l’exposition ne peut jamais conquérir la force du support de l’édition. Celle-ci reste la preuve intangible d’un projet, l’affirmation d’une intention, la justification d’un propos. L’édition est en ce sens le futur de l’exposition (ce qui advient) et non la formulation préalable à sa réalisation. A ce titre, l’exposition est même soumise à l’existence d’une preuve documentaire qui témoigne d’un laps de temps écoulé et d’une séquence révolue.
Dès lors, l’image et le texte ne sont pas les outils de l’espace de monstration mais le cadre même de l’intention artistique. TwoPartsWork I (platitude) réconcilie la spatialité et le document dans un dispositif esthétique processuel dans lequel l’exposition devient théâtre de l’appropriation.
[1]
GARCIA, Tristan, « Quelle est l’épaisseur d’une image ? L’ontologie de la photographie et la question de la platitude », communication présentée lors de la journée d’étude « Photolittérature
– Nouveaux développements » les 22 et 23 mars 2012, Université Rennes 2, labo Cellam, publié
sur Phlit le 10/03/2013.
url : http://phlit.org/press/?p=1310
Théo-Mario Coppola
EN
Born in 1991, Caroline Reveillaud graduated from the École Nationale des Beaux-Arts de Paris in 2016.
For this first exhibition at the Florence Loewy gallery in Paris, the French artist is presenting an in situ arrangement, the fruit of a reflection on publishing (book, catalogue, compilation), the collection of images and their potential materiality.
Ghostly presences
On the wall, bits of architecture, sequences of photographed surfaces. What are these obsessive images? Archives or futuristic fictions?
They belong to the very language of postmodernity, declaring a deconstruction of forms and a manipulation of contents through individual or collective appropriation. These heterotopies, as Michel Foucault called them, here have a double thickness of shadow and grid. Caroline Reveillaud composes a museum of publishing through removing the contexts. What remains is the thin impression, even uncertainty. Unable to identify the screens, reflections and surfaces photographed, we accept them as ghostly presences and persistent images.
In photographing an image, Caroline Reveillaud gives substance to the shadow. Singular, she evokes once again fragility and contingency, two results of taking shots. These photographs encompass several generations, intensifying their architectural power. They also bring up the fictional and formal potentialities of the image: the screen, the projection surface, the mirror. The exhibition TwoPartsWork I (platitude) induces an apparent protocol of translation of the image into its reconfiguration in space, into sculpture.
Consequently, by rebounds and references to an exterior element, Caroline Reveillaud photographs spaces evoking the substratum of an architecture, the essence of a generic code (plan, fold, line, volume). The whole becomes a collection, a personal database, mobilized by the artist as a matrix of the creation of her works. The platitude, one could said the flatness, from the viewpoint of reflections contributed by Tristan Garcia,[1] is then envisaged as a space of the in between: from the image to the sculptural projection. It is presented both in the collection of the 100 photographs arranged on the walls of the space and in the sculpture around which these same elements gravitate.
From the image to the shadow
On the floor, the image of a bubbling on the surface of the water is presented on a rectangular volume with its upper side inclined through a transversal section effect. The effervescence echoes the permanent flow of the images produced and assimilated, negating any hierarchy.
This form is sculpture twice; de facto through the material and by extension through the shadow formed. The latter appears on the floor of the gallery depending on sunlight, meeting the demands of an in situ reflection on the temporality of the documentary image. The casting of shadows proposes, in the same way as Séance de Shadow II (bleu) by Dominique Gonzalez-Foerster, a “multi-temporal” response to the question of the interaction with the exhibition’s public. The artist also proposed, for Inhotim (Brazil), the Desert-Park project (2010), an environment of concrete structures that produce shade in the desert. Olafur Eliasson with his shadow materialization systems (Your Light Shadow, 2005-2006) presented the thickness of the immaterial. As for William Kentridge with Shadow Procession, he undertook a political reflection in 1990 on the expression conditions of memory. These citations show the temporal tension of action and situation, of arrangement and how it is viewed. For Caroline Reveillaud, the shadow can be envisaged as a response to the theory of Brian O’Doherty, who put forth the theory of the white cube as “space without shadow.”
Book and space
The black and white print on the upper surface (taken from the collection of the 100 photographs presented on the wall) of the sculpture is blurry, pixelated. The closer one gets, the more present the grid. The image’s surface consequently becomes matter in itself, in the same way as marble, clay or wood for the sculptor. The sculpture’s incline suggests floating. An open book, divested of its contents, is arranged in a box initially planned to contain the collection of photographs. It suggests the potential thickness of the images as a negative of the exhibition.
The loss of chronological references and identifiable plans asks the visitor to reconsider publishing as a meta-venue, an extension of the exhibition and its inherent evanescence and the prolongation of the language of the image. In the end, the exhibition can never conquer the strength of publishing’s support. This remains the intangible proof of a project, the assertion of an intention, the justification of a subject. In this sense, publishing is the future of the exhibition (that happens) and not the formulation prior to its execution. In this respect, the exhibition is even subject to the existence of documentary proof that bears witness to a lapse of time spent and a bygone sequence. Consequently, the image and the text are not tools of the presentation but the very framework of the artistic intention. TwoPartsWork I (platitude) reconciles spatiality and the document in a process-based aesthetic arrangement in which the exhibition becomes the theater of appropriation.
[1] Garcia, Tristan, “Quelle est l’épaisseur d’une image ? L’ontologie de la photographie et la question de la platitude,” communication presented during the study day “Photolittérature
– Nouveaux développements” on March 22 and 23, 2012, Université Rennes 2, Cellam laboratory, published on Phlit March 10, 2013.
url: http://phlit.org/press/?p=1310
Théo-Mario Coppola