FR
Dans sa jeunesse Valentin Guillon a passé des heures en mouvement, à tourner en rond sur des pistes de roller de vitesse, dans une gymnastique du corps et de l'esprit. Aujourd'hui, dans sa pratique artistique, il cherche à retrouver de telles expériences perceptives un peu hypnotiques, où l'état de grande concentration physique ouvre vers des espaces méditatifs. Dans son atelier, il dessine des boucles, des formes géométriques, construit des maquettes de circuits, de manière sérielle et certainement obsédante. Il poursuit une quête où la position du·de la spectateur·rice est centrale car c'est à son regard mobile que l'oeuvre s'adresse. Le format tableau est indissociable d'un protocole scénographique qui met en jeu le corps, ses possibles parcours, les manières de l'inclure et de l'exclure. Le travail de Valentin Guillon est dans la lignée d'El Lissitzky qui en 1927 dans son aménagement du Cabinet des abstraits proposait de manipuler des parois coulissantes et de varier les points de vue sur les ?uvres, ou plus près de nous Xavier Veilhan, dont les projets jouent avec la scénographie en reliant de manière dynamique le socle, le dispositif d'accrochage, le cartel, la lumière, les corps et les oeuvres, amenant l'invention à l'endroit du format de l'exposition. Valentin Guillon créé lui aussi des dispositifs de vision, des environnements perceptifs, des structures d'empêchement, explorant différentes manières d'amener le·la spectateur·rice à intégrer la dimension spatiale de l'oeuvre.
La peinture est in situ, elle désigne l'espace et se met à l'échelle des lieux. Les projets prennent forme à travers des dessins préparatoires et des maquettes, qui sont des étapes pour tester, analyser, varier les propositions avant de les amener dans l'espace réel. Mais parfois l'attention portée à la maquette en révèle aussi une dimension sculpturale, voire picturale, qui motive son exposition. Encadrée, accrochée, posée sur un socle, elle interroge la nécessité de l'étape de la réalisation en contenant en elle-même un ensemble de possibles qu'il appartient au·à la spectateur·rice d'imaginer.
Valentin Guillon a conçu sa deuxième exposition à la galerie Florence Loewy comme une maquette réduite d'une exposition au Wonder, espace d'atelier collectif à Clichy dont il fait partie, qui aura lieu en septembre 2021. On y découvre une fresque, un ring, des circuits, et un filet traversant la pièce, structure qui relie tout autant qu'elle sépare. Les formes qu'il manipule évoquent des accessoires et des architectures du sport inscrites dans les mémoires quotidiennes, mais aussi l'histoire de l'abstraction géométrique concrète, dans le plaisir du détournement, du jeu, de la manipulation. Concevant dans un même temps les deux projets, Valentin Guillon les a mis en tension. Comme dans une partie de tennis, le regard va mentalement de part et d'autre, de la maquette à l'?uvre in situ, et, frôlant le filet tiré entre les deux, ne cesse de remettre l'oeuvre en jeu. Le spectateur se retrouve coincé dans un va-et-vient entre deux étapes possibles, expérimentant l'impossibilité de décider ce qui de l'un ou l'autre est de l'ordre de l'achevé. Valentin Guillon nous fait vivre les règles qui sont de mise sur le terrain de jeu, comme lors de son exposition précédente à la galerie où l'on montait réellement sur une piste de roller. Cette fois, nous sommes avec lui dans le temps de la préparation, de l'échauffement, explorant sa capacité à produire une expérience esthétique. Dans l'espace étroit de la galerie, Valentin Guillon démultiplie les points de vue, les mouvements optiques, scénarisant le parcours par un accrochage dense et stratifié qui échauffe l'esprit et trouble les repères entre ce qui fait ?uvre et de ce qui fait expérience, invitant à multiplier les parcours.
Mathilde Roman
Mathilde Roman est critique d'art et vient de publier « Habiter l'exposition. L'artiste et la scénographe » aux éditions Manuella.
EN
Throughout his youth, Valentin Guillon was always on the move: spinning in circles in roller skating rinks, in gymnastics, and also in spirit. Today in his artistic practice, he seeks to rediscover such hypnotic perceptual experiences in which a state of great physical concentration leads to meditative spaces. In his studio, he draws circles, geometric forms, builds models of tracks, in a serial and surely obsessive manner. He follows a quest in which the position of the viewer is central as the works are addressed to their ambulatory gaze. The format of the canvas is intrinsic to a stage like protocol that puts the body, its possible trajectories, and the way it is included and excluded into play. Valentin Guillon?s work follows the same vein as that of El Lissitzky's, who in 1927 proposed to manipulate sliding panels to vary the viewing points of artworks in his installation Cabinet des abstraits; or more recently Xavier Veilhan whose projects play with exhibition design by dynamically connecting the plinths, displays, exhibition labels, lighting, bodies and artworks, bringing invention to the exhibition space. Valentin Guillon also creates viewing devices, perceptive environments, and obstacles exploring different ways of leading the viewer to penetrate the spatial dimension of the artwork.
The painting is in situ: it designates the space and brings itself to the scale of the spaces it inhabits. The projects are formed through preliminary drawings and models which are used as steps to test, analyse and vary the proposals before entering the real space. Yet, at times the attention paid to the model portrays a sculptural or even pictorial dimension that stimulates the exhibition. Framed, hung, posed on a plinth, the model questions the necessity of the realisation by containing in itself an ensemble of possibilities open for the viewer to imagine.
Valentin Guillon has realised his second exhibition at the Galerie Florence Loewy as a reduced model of an exhibition that will take place in September 2021 at Wonder, a collective studio space in Clichy where he works. In it, we discover a fresco, a ring, tracks, and a net that crosses the room? a structure simultaneously connecting and separating the space. The forms that he manipulates evoke not only sport equipment and architecture inscribed in our collective memory, but also the history of geometric abstraction with the pleasure of misappropriation, play, and manipulation. By realising both projects at the same time, Valentin Guillon has created a tension. As in a tennis match, the gaze moves back and forth, from the model to the in situ work, skimming the net stretched between the two, never ceasing to put the work into play. The viewer finds themself stuck in a coming and going between two possible steps, experiencing the impossibility of deciding which one is complete. Valentin Guillon makes us live the rules that are at play on the field, as with his previous exhibition in the gallery where we literally stepped onto a roller skating rink. Here, we follow him in the time of preparation, the warm up, exploring his capacity to produce an aesthetic experience. In the narrow space of the gallery, Valentin Guillon multiples perspectives, optical movements, staging the path through a dense and stratified installation that warms the spirit and blurs the reference points between what makes an artwork and what makes an experience, an invitation to multiply the possible paths.
Mathilde Roman
Mathilde Roman is an art critic and she published "Habiter l'exposition. L'artiste et la scénographie" at Manuella editions.
Translated from the French by Katia Porro