March 14 - May 2, 2015

Fast Colour

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FR


« Tout se passe comme si la couleur que je vois était sa propre description.» – Ludwig Wittgenstein, Le Cahier brun (1935).

Glissements sensibles de la couleur, glissements tactiles de la couleur, entre les mains, entre des gestes, entre des surfaces, entre des cadres, entre des espaces, entre des matériaux et des médiums, entre des déplacements et des circulations, entre des lumières naturelles ou artificielles, entre des paysages, entre les heures… Où est la couleur, en dehors du mot qui la nomme ? Où va la couleur ? Dans cette fugue des variables, dans cet arc des ressemblances fugaces, des nuances classifiées, des tonalités référencées. Aller chercher la couleur, aller prélever la couleur, quelque part dans les ressacs d’un paysage d’Islande ou de l’île de Stromboli, quelque part dans les plis souterrains d’un paysage d’eau, de roche ou de lave, quelque part dans la ville ou dans un verre industriel. Et puis, après, cette question à nous posée par Joan Ayrton : comment prendre la couleur ? Comment fabriquer la couleur ? Comment la fixer ? Comment la voir ? Comment avoir prise sur son insaisissable ? Il y a autant une lenteur qu’une fulgurance de la couleur. Le tableau monochrome, unique ou en diptyque, le film vidéo, la photographie, le verre lisse ou soufflé, le papier, tous ces matériaux et techniques utilisés par Joan Ayrton, sont-ils, chacun avec leurs propriétés, l’un des possibles ?

Tout se passe comme si cette «fast colour» que Joan Ayrton cherche à capter, à toucher, à voir, dans sa matérialité et dans ses imperceptibles, dans sa malléabilité et son atonie, dans sa reproduction mécanique, dans son éphémère présence et dans son image, était un défi et une tension faits à l’œil et au corps, un défi singulier au voir. L’exposition devient pour l’artiste, dans sa composition en six pièces – dont certaines nouvelles (Infra-red, Ways of Seeing et Colour is An Image), d’autres peu ou récemment montrées (Glass diptych, b & w colours, Poster) –, dans les mouvements qu’elle induit, dans les passages qu’elle opère, tel un petit traité des couleurs, intime, personnel, parfois autobiographique. Un petit traité des couleurs dans lequel passent, en hommage et en affinités, les figures de Leon Battista Alberti, de Wittgenstein, du critique d’art et écrivain anglais John Berger, du cinéaste Derek Jarman, auteur d’un Chroma – A Book of Colour (1994).

Fast Colour syncrétise et synchronise le moment de la couleur dans le travail à la fois pictural et photographique de Joan Ayrton. Parce que nous sommes dans des passages et dans des gestes, chromatiques et corporels, avec Infra-red, premier film réalisé par l’artiste, comme avec Ways of Seeing, série de photographies argentiques en noir et blanc. Les deux pièces faisant boucle et retour autour d’une même image d’horizon et de paysage marin : le film, tourné à la caméra numérique à l’intérieur d’un laboratoire de tirage photographique, la dévoile dans un rouge ouaté, dense, aux limites du pictural et du mental. Les photographies en proposant, par différents recadrages dus aux mains de l’artiste posées au moment de l’impression à la chambre, un regard nouveau et rétrospectif. Il s’agit bien de voir. C’est le rouge qui permet de voir ce qui est dans l’invisible ; ce sont les mains qui permettent de re-voir. Ce sont les quatre verres colorés soufflés de la série Colour is An Image, finement encadrés, qui grâce à une fabrication des couleurs par précise superposition de deux couleurs (vert et rouge, jaune et vert, bleu et rouge), réinterroge ce voir de l’image, de la couleur image. « Car à travers le verre on voit fluer l’image (..)» écrit le poète latin Lucrèce, dans son De rerum natura. Joan Ayrton propose cette expérience-là : la couleur est une image, et ainsi nous la voyons.
 
Marjorie Micucci


 



EN


It seems as though the colour which I see was its own description. - Ludwig Wittgenstein, The Brown Book (1935).

Sensitive shifts of colour, tactile shifts of colour, between the hands, between gestures, between surfaces, between frameworks, between spaces, between materials and media, between displacements and circulations, between natural and artificial lights, between landscapes, between hours… Where is colour, outside of the word that names it? What is the aim and trajectory of colour? Where is it going, among this fugue of variables, in this arch of fleeting ressemblances, classified nuances, and referenced tonalities? Go look for colour, go sample colour, somewhere in the backwashes of an Icelandic landscape or off the island of Stromboli, somewhere in the subterranean folds of a landscape of water, rock or lava, somewhere in the city or in an industrial glass. Then, afterwards, this question addressed to us by Joan Ayrton: how do we obtain colour? How do we manufacture colour? How do we establish it? How do we see it? How do we control its elusive nature? There is as much a slow quality as there is a fleetingness to colour. Monochrome painting (standalone or as diptychs), films shot on video, photography, hand-blown or smooth glass, paper: are all of these materials and techniques used by Joan Ayrton, each with their own properties, expressions of one of these possibilities?

It is as if this “fast colour” that Joan Ayrton seeks to capture, touch, and see, in its materiality and its imperceptible aspects, in its malleability and lifelessness, in its mechanical reproduction, ephemeral presence and imagery, represents a tension and a challenge made to the eye and body, a unique challenge to sight. The exhibition is composed in six parts – including some new works (Infra-red, Ways of Seeing and Colour is An Image), and others that have not often been presented or that were recently shown (Glass diptych, b & w colours, Poster). For the artist, in the movements that it induces and the transitions it performs, the exhibition becomes  like a little treatise on colours that is intimate, personal and sometimes autobiographical. A little treatise on colours in which pass the figures of Leon Battista Alberti, Wittgenstein, English art critic and writer John Berger, filmmaker Derek Jarman, author of Chroma – A Book of Colour (1994) – all in tribute and by affinity.

Fast Colour syncretises and synchronises the instance of colour in both Joan Ayrton’s pictorial and photographic work, since both Infra-red (the first film made by the artist) and Ways of Seeing (a non-digital black and white photographic series) relate to chromatic and bodily transitions and gestures. Both works loop and return to a single image of the horizon and a marine landscape: the film is shot inside a photographic printing laboratory using a digital camera and reveals it in a muffled, dense red, at the limits of the pictorial and the mind. The photographs provide a new and retrospective gaze, through various reframings due to the placement of the artist’s hands inside the chamber at the time of printing. It is truly a question of seeing. It is red that enables us to see what is inside the invisible; it is the hands that enable us to re-vise. It is the four hand-blown coloured glass works of the Colour is An Image series, subtly framed, that re-question this vision of the image – of the image colour – through the production of colours via the precise superposition of two colours (green and red, yellow and green, blue and red). “For through glass, so we find, stream images […]” wrote the Latin poet Lucretius in his De Rerum Natura. Joan Ayrton offers that experience: colour is an image, and that is how we see it.



Marjorie Micucci